Pour empêcher de sortir, la " secte" va invoquer le dialogue comme un absolu. Faut-il toujours dialoguer pour être dans le vrai?
Dans la recherche du vrai, quels sont les éléments indispensables qui viennent à l’esprit ? Est-il possible d’établir une liste de « critères » autres, mais non exclusifs, de découverte de la vérité ? Nous pourrions faire l’impasse sur le dialogue, proclamer un chemin philosophique qui se passe du dialogue avec autrui pour affirmer une parfaite autonomie de la vérité, sans lien avec la démarche de recherche de la vérité. Ainsi, la question « faut-il toujours entrer en dialogue avec autrui pour découvrir le vrai » amène à se poser la question de la vérité « objective » et de « l’objectivité du dialogue ».
Si l’on prenait la question « a contrario », on pourrait se demander quelles sont les conséquences de l’absence de dialogue avec autrui sur la découverte du vrai. Dans la question, le mot « toujours » a un poids non négligeable : y-a-t ‘il des situations où le dialogue avec autrui ne conditionne pas la découverte du vrai ?
Dialogue, oui, mais sur des bases acceptables, comme le découvrit Augustin.
Si on considère la vérité comme le fruit du processus de dialogue, alors, il y a un « toujours » qui semble s’imposer de lui-même comme une condition « sine qua non » : pas de dialogue, pas de vérité ! Le processus de dialogue devient alors la vérité elle-même. Il peut alors y avoir comme une « sacralisation du dialogue », considéré comme l’unique chemin de découverte de la vérité. Une rupture de dialogue, et voilà la vérité elle-même compromise. Dans le dialogue, il faut être plusieurs : soi-même et autrui, autrui pouvant représenter d’autres points de vue entrant dans le dialogue. Si on admet que tous cherchent le vrai, quels vont être les critères du dialogue pour s’assurer que le processus de dialogue ne sera pas détourné du vrai ?
Nous pouvons prendre ici l’expérience de saint Augustin, qui trouvait dans la philosophie une démarche vers le vrai. Sans considérer la dimension religieuse de sa recherche du vrai, mais seulement la dimension philosophique, bien que les deux aient été intimement liés dans sa vie, on peut considérer qu’Augustin dialoguait avec les philosophes de son temps comme il le rapporte dans les Confessions à propos du livre de Cicéron, l’Hortensius, livre aujourd’hui perdu mais dont on sait qu’il était une sorte de compilation de philosophes cités et commentés par Cicéron : « Or l’amour de la sagesse porte chez les Grecs le nom de philosophie, et c’est lui qui m’enflammait dans ma lecture. Il en est qui séduisent au moyen de la philosophie : ce grand nom flatteur et honorable, leur sert à colorer et à maquiller leurs erreurs. Or presque tous ceux qui au temps de l’auteur et avant lui agissaient ainsi sont signalés dans ce livre et démasqués. » Confessions, livre III, chapitre VI, 10, Desclée de Brower 1962, p 379, et à propos de l’Hortensius de Cicéron, note complémentaire 14, p 668
Piperies, fictions, duperies : mieux vaut aller chez les bons philosophes que chez les sectes!
Le dialogue établi par Augustin avec les philosophes est venu interférer avec sa recherche du vrai chez les Manichéens. La vérité du dialogue, et l’objectivité de ce même dialogue est cette fois-ci mise en cause par Augustin qui parle des « piperies » des Manichéens,( le mot latin est « decipula », tromperie…on pourrait dire aujourd’hui pour en rendre les nuances : « C’est du pipeau ») ; « Piperies, fictions, duperies »,( Idem, chapitre VI, 11, p 388) , les conditions du dialogue et de la recherche objective du vrai ne sont pas réunies du côté des Manichéens, selon les termes d’ Augustin, mais elles le sont pour lui du côté des philosophes et de Cicéron. Ainsi, le dialogue peut s’ouvrir à de nombreux interlocuteurs, et cette ouverture entraîne une démarche vers le vrai qui peut parfois aussi disqualifier certains interlocuteurs. Les gnoses ne résistent pas à une philosophie sérieuse, ceci est toujours valable à notre époque. Les sectes d'aujourd'hui n'étudient pas les philosophes de façon approfondie, car elles ne sont pas basées sur la logique et la raison mais sur l'affectivité. Les " dupeurs", ainsi appelés par Augustin qui passa 12 ans chez les Manichéens, exigent un " dialogue affectif", c'est-à-dire un dialogue fermé, clos sur " la secte" et le " dissident". la philosophie ouvre toujours sur plusieurs points de vue.
Dialogue solide, sans tromperies.
Cependant, s’il ne semble pas possible d’isoler la philosophie de tout dialogue, une fois que les bases d’un dialogue réel sans tromperies -au moins intentionnelles- sont en place, cela pose la question de la vérité « en soi », de la vérité objective recherchée par les différents interlocuteurs. Si cette vérité est considérée comme « relative » par certains interlocuteurs, comment entrer réellement en dialogue sur des bases fluctuantes ? Dans le dialogue vont entrer en confrontation des différences, des divergences. La connaissance d’autrui est une autre base indispensable d’un dialogue : écouter ce qu’il dit être, apprendre à connaître son point de vue, son raisonnement, et dans la recherche commune, même s’il peut y avoir divergence radicale, savoir sur quoi cette divergence se fonde réellement, voilà une première étape. Sans cette étape, il n’y a pas recherche du vrai mais plutôt préjugés, déformation de la pensée d’autrui. Au fond, le refus de dialogue est à la fois le refus d’une pluralité légitime, et plus encore, poussé à son extrême, le refus de la philosophie elle-même.
Dialogue sans peur, la vérité est symphonique!
Hans Urs Von Balthasar dit que « toutes les grandes philosophies naissent au cours du dialogue et de la discussion entre elles ; qu’elles soient approbation, développement, contradiction, synthèse de différents prédécesseurs : toutes se tiennent entre elles en osmose. Platon suppose aussi bien Parménide qu’Héraclite, et Aristote, le stoïcisme surtout, sont impensables sans Platon. (…) Ce dialogue entre les grandes philosophies n’a rien de commun avec l’éclectisme : on ne devrait employer ce mot que pour des synthèses insuffisamment réfléchies. C’est l’humanité qui pense d’une manière symphonique, polyphonique. » (Hans Urs Von Balthasar, la Vérité est Symphonique, Parole et Silence, 2000, p 34.)
Ainsi, la divergence, l’opposition, la contradiction ne doivent pas « tuer » le dialogue : l’absence de dialogue dans la philosophie morcelle la connaissance, isole, rend les systèmes de pensées totalisants- est-ce ainsi que naissent les totalitarismes ?- appauvrit la philosophie elle-même, ou plutôt les philosophes. En effet, on ne peut guère parler d’une seule philosophie commune, mais plutôt d’une recherche commune qui tend à empêcher la question de disparaître : cesser de dialoguer, c’est cesser de chercher, cesser de se questionner, se résigner. Cette résignation entraîne une disparition de l’élan philosophique, elle est résignation à l’ignorance, au « tout se vaut », c’est cette résignation qui en réalité entraîne le relativisme et décourage de chercher avec autrui le vrai. Le refus de la confrontation, des différences, du pluralisme, ou l’affirmation péremptoire que la question est résolue, tout cela semble masquer en réalité la résignation à ne plus chercher la vérité.
Mais la vérité se cherche avec la raison, et non avec l'affectivité. Et elle se cherche inlassablement, quels que soient les obstacles, car elle se laisse trouver.
Ainsi, la divergence, l’opposition, la contradiction ne doivent pas « tuer » le dialogue : l’absence de dialogue dans la philosophie morcelle la connaissance, isole, rend les systèmes de pensées totalisants- est-ce ainsi que naissent les totalitarismes ?- appauvrit la philosophie elle-même, ou plutôt les philosophes. En effet, on ne peut guère parler d’une seule philosophie commune, mais plutôt d’une recherche commune qui tend à empêcher la question de disparaître : cesser de dialoguer, c’est cesser de chercher, cesser de se questionner, se résigner. Cette résignation entraîne une disparition de l’élan philosophique, elle est résignation à l’ignorance, au « tout se vaut », c’est cette résignation qui en réalité entraîne le relativisme et décourage de chercher avec autrui le vrai. Le refus de la confrontation, des différences, du pluralisme, ou l’affirmation péremptoire que la question est résolue, tout cela semble masquer en réalité la résignation à ne plus chercher la vérité.
Mais la vérité se cherche avec la raison, et non avec l'affectivité. Et elle se cherche inlassablement, quels que soient les obstacles, car elle se laisse trouver.