Un constat : il y a mieux !
En introduisant au chapître III de l'encyclique ce premier chantier, proposé aux catholiques et aux hommes de bonne volonté, le Pape rappelle que tous les dévoiements sociaux, politiques, économiques et éducatifs, sont des conséquences de la rupture originelle de l’homme avec son Créateur. L’orgueil de l’homme moderne le pousse à refuser toute référence morale, à confondre bonheur et bien-être matériel, à permettre aux pires injustices de proliférer alors qu'il y a bien plus à découvrir dans la catégorie du bonheur.
La voie de l’amour dans la vérité
Au rebours, la voie de l’amour dans la vérité, en privilégiant l’expérience du don permet à l’homme de réaliser sa dimension transcendante, de découvrir l’espérance chrétienne et d’explorer la voie du développement humain intégral, qui exige de conjuguer l’initiative créatrice et la solidarité. La logique du don, issu de l’amour divin, prend en considération le principe de gratuité, dépasse la justice sans l’exclure et permet de parvenir à une authentique fraternité.
Avec réalisme, le pape reconnaît la nécessité du marché, lieu de rencontre des acteurs économiques, qui règlent les échanges de biens et services par contrat. La justice commutative permet le respect des droits du client et du fournisseur. Le marché est bénéfique, s’il n’est pas fondé sur les seuls intérêts égoïstes, mais il ne peut produire la cohésion sociale, dont il a besoin pour bien fonctionner. La justice distributive remplit, elle, ce rôle social.
La doctrine sociale de l’Eglise va plus loin
La doctrine sociale de l’Eglise va néanmoins plus loin que l’exigence de justice sociale, elle estime qu’au sein même de l’activité économique normale peuvent et doivent se nouer des relations d’amitié, de solidarité, de réciprocité, fondées sur le principe de gratuité et la logique du don.
Pour ce qui concerne les exigences morales, qui doivent régir l’économie pour le service de l’homme, le pape constate que toute décision économique a, dans ses conséquences, un caractère moral, qu’il s’agisse de découverte et d’exploitation des ressources naturelles, de leurs transformation, commercialisation et consommation, du financement de chacune des phases.
Naguère, la sphère politique pouvait veiller à la justice distributive après le cycle des phases économiques, mais celles-ci ne sont plus confinées dans les limites territoriales des gouvernements. C’est à chaque étape et dès le début du cycle économique, que la justice distributive doit être respectée et que place doit être faite aux acteurs qui ne s’enferment pas dans la seule logique du profit.
Le rôle de la société civile
Dès lors, comme l’avait déjà remarqué Jean-Paul II (Centesimus Annus, )la société civile doit prendre place dans le système économique, car elle est plus appropriée que l’Etat et le marché à faire régner la fraternité et à promouvoir l’esprit de gratuité. La solidarité ne peut être l’apanage de l’Etat seul comme le démontre le phénomène de la mondialisation. Trop souvent, d’ailleurs, le marché et l’Etat s’accordent pour perpétuer le monopole de leurs « territoires » de pouvoir au détriment du souci des citoyens et de la solidarité. L’économie, alors, cesse d’être facteur de civilisation.
Entreprise, Etat et responsabilité sociale
Le monde de l’entreprise est lui-même contaminé, perd son caractère de cellule de société devient totalement soumis aux investisseurs par l’intermédiaire d’une classe cosmopolite de « managers », eux-mêmes dépendants de fonds anonymes d’investissement, qui fixent leur rémunération. L’extrême mobilité internationale des capitaux, la logique du seul profit et l’emploi spéculatif des ressources financières font perdre à ces entreprises le sens de leur responsabilité sociale.
Et pourtant, ajoute le Pape, l’action d’entreprendre a une signification polyvalente et non monovalente. Sa fonction est d’abord humaine, car tout travailleur est potentiellement créateur, capable de travailler comme « s’il était à son compte ». En outre, l’entreprise doit cultiver le sens du bien commun, national et international. Enfin, elle doit se prêter aux échanges entre entreprises profitables et entreprises qui servent le bien commun sans rechercher le profit.
Quant à l’Etat, son autorité politique exige une construction juridique, administrative et constitutionnelle solide. Il ne doit pas exclure d’autres acteurs dans les domaines culturel, social, territorial et religieux. Il doit se comporter en partenaire d’une économie « civilisée« .
En conclusion, la mondialisation en soi n’est ni bonne ni mauvaise. Pas de pessimisme ni de fatalisme par rapport à son état actuel. Il faut corriger ses dysfonctionnements et favoriser une culture du respect des personnes, du sens communautaire, la garder par la charité et la vérité, l’ouvrir à la transcendance, au lieu de laisser les pays développés profiter des richesses potentielles des pays pauvres.
Chapitre IV de l'encyclique : devoirs et droits.
Dans ce deuxième chantier, le pape aborde le développement des peuples en y incluant les problèmes d’environnement. Mais il ouvre le chapitre par une réflexion importante sur les rapports entre droits et devoirs. Il n’est pas nouveau de penser que revendiquer un droit légitime devient illusoire si personne ne s’oblige au devoir de le respecter. Ce qui est inquiétant aujourd’hui, dit le pape, c’est que nombreux sont ceux qui prétendent ne rien devoir à personne et se montrent incapables d’assumer une responsabilité. En outre, certains droits ne relevant que de l’hédonisme sont revendiqués de façon à la fois virulente et totalement arbitraire alors que, proche des grandes métropoles, beaucoup souffrent du manque de soins élémentaires, de nourriture et d’eau potable.
« Avoir en commun des devoirs réciproques mobilise beaucoup plus que la seule revendication de droits. »
Pour n’être pas arbitraires, les droits découlent d’une anthropologie réaliste, relèvent en vérité de la morale qu’elle sous-tend et sont délimités par les devoirs qui constituent un engagement en faveur du Bien. Les droits ne sauraient donc trouver leur fondement dans les délibérations d’une assemblée de citoyens car ils pourraient changer à tout moment et perdre toute crédibilité. Les pays pauvres demandent que la communauté internationale se fasse un devoir de les aider à devenir eux-mêmes capables d’assumer des devoirs. « Avoir en commun des devoirs réciproques mobilise beaucoup plus que la seule revendication de droits. »
En fait, ce qui est au centre des débats, c’est le système moral auquel on se réfère. Et le pape de prendre comme exemple le problème de la croissance démographique, que l’on présente comme cause première du sous développement. D’une part, c’est faux du point de vue économique, d’autre part c’est un danger pour le développement humain intégral, car cela concerne les valeurs primordiales de la vie et de la famille. L’Eglise recommande à l’homme de respecter dans tous ses actes la réalité humaine authentique. La sexualité n’est pas une activité purement hédoniste et ludique et l’éducation sexuelle ne se réduit pas à l’apprentissage d’une technique. La planification forcée des naissances exerce une violence sur les personnes et relève d’une conception matérialiste. Les nations, qui ont été contaminées par ces politiques, doutent aujourd’hui d’elles mêmes, voient leur système d’assistance sociale menacé, leurs réserves de main d’œuvre qualifiée et de cerveaux, fondre ainsi que leur épargne et leurs ressources financières. Il est au contraire capital de promouvoir des politiques, qui fassent la promotion et assurent le soutien de la cellule familiale, fondée sur le mariage d’un homme et d’une femme.
Ethique et caractère central de la personne humaine
De même, l’économie ne peut se passer d’éthique mais le mot est souvent galvaudé. La doctrine sociale de l’Eglise se fonde sur la création de l’homme à l’image de Dieu, d’où découle la dignité inviolable de la personne et la valeur transcendante des normes morales naturelles, c’est à dire relatives à la nature même de cet être humain créé par Dieu. L’économie est une activité humaine, donc soumise à l’évaluation morale et non aux seules règles du profit. De ce fait, la sphère économique peut et doit accueillir des entreprises, qui utilisent en partie leur bonne santé économique pour assumer des objectifs d’utilité sociale quitte à ce que soit aménagé le cadre juridique et fiscal qui le leur permettra. C’est à la fois une application du principe de subsidiarité et du principe du caractère central de la personne humaine.
Pour ce qui concerne les pays pauvres, le pape insiste sur l’importance d’aides concrètes, adaptées aux réalités du terrain, flexibles, mobilisant les acteurs locaux sur des microprojets. Les organisme internationaux sont trop souvent bureaucratiques, coûteux, peu transparents et d’une efficacité douteuse.
Quant à l’environnement naturel, il est l’expression du dessein d’amour divin pour que l’homme satisfasse à ses besoins légitimes en respectant les équilibres propres à la Création. Sont donc à rejeter aussi bien le nouveau panthéisme, qui se fie à la nature elle même pour le maintien de l’environnement, que la technicisation complète qui bouleverse l’équilibre naturel. Est au contraire à promouvoir la solidarité et la justice intergénérationnelles en prenant en compte tous les aspects des questions à résoudre, écologique, économique, juridique, politique, culturel.
Reconsidérer un style de vie
La pape aborde alors la question des ressources énergétiques non renouvelables, dont la consommation des pays développés met en péril celle des pays pauvres, qui n’ont pas les moyens d’investir dans des énergies renouvelables. La solidarité, la coopération, la concertation dans la prise de décision s’imposent toujours davantage. Il s’agit bien de reconsidérer un style de vie, fondé sur le plaisir et la consommation. Il faut changer de mentalité, donner toute sa place à la recherche du vrai, du beau, du bien, entrer dans un processus de communion avec les autres hommes pour une croissance de tous. L’Eglise a une responsabilité vis à vis de la création et doit l’affirmer publiquement. L’écologie proprement dite exige une écologie humaine, le respect par tous de la nature humaine voulue par Dieu. Le point déterminant est la tenue morale de la société dans son ensemble. Sa source ultime n’est pas l’homme mais Dieu, celui qui est Amour et Vérité. Lui seul nous montre la route qui conduit au vrai développement.
Père Yannik Bonnet