Fort satisfait de sa journée, le Démon quitta le couvent la nuit close. En chemin, il rencontra un jeune homme qui venait en sens contraire, gravissant l’étroite pente. L’homme portait, semblait-il, un costume de pèlerin. Il avait l’air doux et modeste. Intrigué, inquiet même, l’Esprit du mal s’approcha :
-Bon pèlerin, lui dit-il, épargnez votre peine. Si vous allez dans ce couvent chercher repos et nourriture, vous ne trouverez que famine et agitation. Les pauvres moines n’ont rien à se mettre sous la dent. Ils sont en grande tristesse et aigreur. C’est bien pitié en ces temps de fêtes chrétiennes de voir comme ils sont laissés à l’abandon par les bourgeois de la ville. Je viens de chez eux et je n’avais guère que ma propre indigence à leur offrir en aumône, pourtant ils m’ont mal reçu et reçevront fort mal quiconque viendra les appauvrir en demandant l’aumône…
Le Démon s’embrouillait et se répétait, mal à l’aise devant le calme qui émanait de l’étranger.
-L’aumône n’appauvrit point, déclara l’homme mystérieux. Surtout à Noël.
-Oui, oui, ricana le Démon. Cela vous sera rendu au centuple. Mais eux n’ont plus un grain de blé, ce sera le centuple de zero…
-Non seulement le centuple, mais une moisson entière, un trésor inestimable que tu vas rendre à ces pauvres gens pour le mal que tu leur as fait. Ton acte mauvais tournera à leur plus grande prospérité et à ta confusion !
-Qui es-tu donc, et comment me connais-tu ? Qui te donne cette assurance ? J’ai semé le doute dans l’âme de ces moines, pourras-tu empêcher ma moisson de croître en fruits de mort ?
-Esprit méchant ! répondit le jeune homme avec autorité, c’est toi-même qui l’arracheras et tu seras forcé de travailler à la moisson du Salut, jusqu’à ce qu’elle ait porté cent pour un.
-Es-tu donc plus puissant que le Prince très subtil, jeune pèlerin ? Sache que je n’obéis qu’à Celui qui règne dans les cieux, à Celle que je puis nommer ou à l’archange Michel. Hormis eux, je ne connais point de maître.
-Par moi-même, je ne suis rien, répondit le pèlerin, mais par la grâce de Dieu, j’ai commandé à un plus grand que toi.
Et, en même temps, il étendit son bâton noueux qui se mit à fleurir comme une branche pleine de sève au printemps : trois fleurs blanches au coeur d’or s’épanouirent à l’extrémité.
-Joseph, Fils de David ! murmura le Démon dans un cri étouffé.
Il tourna sur lui-même, chancela et tomba au pied du plus grand des Pèlerins.
-Grâce, grâce ! Epargne-moi, éloigne ce sceptre fatal : qu’ordonnes-tu ? Ne me renvoie pas dans les entrailles de la terre !
Alors Saint Joseph dicta son ordre. Et en l’écoutant, le Démon gémissait et se tordait en répétant :
-Non, pas cela, non ! non ! c’est trop dur, c’est affreux !
A suivre.