1 DIEU EN SON MYSTERE
LE PROLOGUE 1, 1-8
1 Révélation de Jésus Christ, que Dieu lui a donnée pour montrer à ses serviteurs les choses qui doivent arriver bientôt, et qu’il a fait connaître, par l’envoi de son ange, à son serviteur Jean, 2 lequel a attesté la parole de Dieu et le témoignage de Jésus Christ, tout ce qu’il a vu. 3 Heureux celui qui lit et ceux qui entendent les paroles de la prophétie, et qui gardent les choses qui y sont écrites ! Car le temps est proche. 4 Jean aux sept Églises qui sont en Asie : que la grâce et la paix vous soient données de la part de celui qui est, qui était, et qui vient, et de la part des sept esprits qui sont devant son trône, 5 et de la part de Jésus Christ, le témoin fidèle, le premier-né des morts, et le prince des rois de la terre ! A celui qui nous aime, qui nous a délivrés de nos péchés par son sang, 6 et qui a fait de nous un royaume, des sacrificateurs pour Dieu son Père, à lui soient la gloire et la puissance, aux siècles des siècles ! Amen ! 7 Voici, il vient avec les nuées. Et tout oeil le verra, même ceux qui l’ont percé ; et toutes les tribus de la terre se lamenteront à cause de lui. Oui. Amen ! 8 Je suis l’alpha et l’oméga, dit le Seigneur Dieu, celui qui est, qui était, et qui vient, le Tout Puissant.
Attardons-nous, pour commencer, sur le statut de la Parole de Dieu dont il est fait mention ici au verset 2. C’est en effet la première étude à faire quand on se propose de lire et commenter au fur et à mesure tout un Livre biblique. Nous posons ces deux questions : Quel est son contenu ? Quelle est la puissance active cachée en elle ?
L’attente et la réalisation
Pour y répondre, nous reprendrons l’enseignement que le Christ donne à ses disciples en même temps qu’à la foule, son auditoire habituel. Il est précisément détaillé dans le chapitre 13 de l’évangile de Matthieu. ( la parobole du Semeur) Nous référant à la Parole de Dieu dans l’évangile, nous comprenons qu’il s’agit principalement de la Parole du Christ. Lui-même s’est situé par rapport à une autre Parole déjà existante, celle de la tradition juive. Aussi devons-nous rappeler que l’ensemble des textes vétéro-testamentaires représente pour nous le contenu des promesses que Dieu adresse à son Peuple, tandis que le Christ en représente l’accomplissement. Il y a donc un lien particulier qui unit ces deux ensembles textuels aujourd’hui en notre possession, celui de l’attente et celui de la réalisation.
Tous les évangiles nous présentent le Christ comme Maître, Rabbi, qui enseigne en donnant une signification ignorée et une interprétation nouvelle de l’ensemble de la Loi de Moïse et des Prophètes. Ainsi en saint Luc : « Et, commençant par Moïse et parcourant tous les Prophètes, il leur interpréta dans toutes les Ecritures ce qui le concernait » (Lc. 24, 27) et : « Il leur dit : "Telles sont bien les paroles que je vous ai dites quand j’étais encore avec vous : il faut que s’accomplisse tout ce qui est écrit de moi dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes." Alors il leur ouvrit l’esprit à l’intelligence des Ecritures, et il leur dit : "Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait et ressusciterait d’entre les morts le troisième jour " » (Lc. 24, 44-46).
Dans saint Matthieu, Jésus enseigne que la Parole de Dieu est efficace par elle-même, sachant qu’il est lui-même la Parole de Dieu, le Verbe fait chair, et que son enseignement ne prétend être rien d’autre que cette Parole de Dieu, soit qu’il parle simplement, soit qu’il commente celle de Moïse et des Prophètes. Il précise donc que cette efficacité dépend aussi de celui qui écoute.
Aussi dénoncera-t-il les obstacles qui diminuent la réceptivité de l’auditeur à la Parole : l’oubli ; le manque de profondeur (le doute) ; l’étouffement. C’est la parabole du semeur (13, 1-9).
Veiller sur la bonne semence
Il expliquera encore que la Parole est donnée en concurrence avec une autre, celle de l’accusateur. C’est la parabole du bon grain et de l’ivraie. Là, on apprend qu’il n’est pas donné à l’homme d’éradiquer le Mauvais, mais il lui est demandé de veiller sur la croissance de la bonne semence (13, 24-30).
De même, ce que l’on peut percevoir ou juger apparemment de la Parole maintenant ne peut donner une idée juste de la puissance vitale contenue dans cette Parole. C’est la parabole de la graine de sénevé, la plus petite de toutes les graines, qui nous apprend qu’il n’y a pas de commune mesure entre la vie ici-bas et le Royaume de Dieu (13, 31-32).
Puis, celle du levain nous redit que la grâce est toujours à l’œuvre dans le cœur de tout homme et que celui-ci est invité à coopérer avec elle, puisqu’il est créé à l’image de Dieu (13, 33).
Encore une autre, celle du trésor nous permet de mesurer combien la connaissance du mystère de Dieu est propice à renouveler notre façon de voir la vie et les valeurs du monde, en vue de la conversion (13, 44).
Quant à la perle, elle nous rappelle que les désirs les plus grands qui peuvent habiter notre cœur n’égaleront jamais celui du bonheur promis par Dieu (13, 45-46).
Enfin, avec le filet, nous pouvons user de la Parole comme un critère très sûr de discernement pour conduire les choix de notre existence (13, 47-50).
Le travail d’enfantement
Le Livre de l’Apocalypse invite à retenir le contenu prophétique de cette Révélation afin de montrer comment elle agit dans le déroulement de l’Histoire du monde. Au contraire de ce que les apparences peuvent nous faire accroire, Dieu ne nous a pas abandonnés au pouvoir obscur des forces de dispersion, car Il demeure le Maître de tout, l’Alpha et l’Oméga. Ainsi le monde va vers l’avènement de la création nouvelle. Comme l’explique saint Paul : « Nous le savons en effet, toute la création jusqu’à ce jour gémit en travail d’enfantement » ( Ro. 8, 22). Cette Parole, semence, la plus petite et cependant la plus puissante, mêlée au monde et à l’ivraie, reçue dans les cœurs, trésor précieux et incomparable, principe de jugement, c’est le Christ crucifié manifesté à la face de l’univers.
…par la Croix
Saint Paul nous présente le mystère de la Croix de Jésus comme le centre de sa prédication. Nous pouvons citer la 1ère Lettre aux Corinthiens 2, 2 : « Non, je n’ai rien voulu savoir parmi vous, sinon Jésus Christ, et Jésus Christ crucifié » et 7-8 : « Ce dont nous parlons, au contraire, c’est d’une sagesse de Dieu, mystérieuse, demeurée cachée, celle que, dès avant les siècles, Dieu a par avance destinée pour notre gloire, celle qu’aucun des princes de ce monde n’a connue - s’ils l’avaient connue, en effet, ils n’auraient pas crucifié le Seigneur de la Gloire ». C’est bien là l’essentiel de toute prédication et aussi le point incontournable par lequel l’homme adhère à la foi en Jésus Christ, le découvrant Seigneur dans l’acceptation aimante de son anéantissement.
Plan d’ensemble du Prologue et du Livre
Terminons cette présentation du Prologue du Livre en en donnant le plan d’ensemble qui met en évidence les différents thèmes autour desquels se construira la suite du texte. Les versets 1 à 8 s’articulent en deux parties distinctes autour d’une partie du verset central qu’est le v.4 :
v. 1-3 : L’annonce du message de cette ultime Révélation v. 4-8 : L’autorité de cette Révélation le v. 4 désigne les destinataires, à savoir les 7 Eglises
v. 1 : Dieu est l’auteur principal de la Révélation Il a donné à Jésus la Révélation qu’est Jésus en personne pour que celui-ci la montre à ses serviteurs. La Révélation s’enracine dans le mystère de la paternité/filiation divines Cela concerne ce qui doit arriver bientôt. Un ange est envoyé à Jean pour ce faire. v. 2 : Jean est un témoin de la Parole de Dieu : il l’enseigne et montre comment Jésus en a témoignée, l’a accomplie. v. 3 : Cette parole constitue une béatitude pour ceux qui l’écoutent. v. 4 : Un enseignement est donné aux Eglises d’Asie. Il est don de la grâce et a comme fruit la paix qu’il apporte puisqu’il vient de Dieu Trine. v.5-8 : la fin développe le mystère du Christ rédempteur présenté avec 3 titres de gloire : Témoin fidèle / Esprit Saint Premier né d’entre les morts/ Père Prince des rois de la terre/ les hommes De même on peut retenir 3 œuvres qu’Il a accomplies : son amour rédempteur par l’effusion du sang constitution de l’humanité en un royaume pour son Père il en reçoit la gloire et la puissance 2 paroles de l’A.T.(Dn. 7,13 et Za. 12, 10) scellent cette présentation comme pour montrer la puissance de l’accomplissement des prophéties. Une suite de titres la concluent.
Isaïe et le message adressé aux 7 Eglises
Ayant présenté le statut de la Parole de Dieu et introduit la présentation générale du texte, nous pourrions approfondir les liens scripturaires du Livre de l’Apocalypse avec le genre littéraire et biblique tel que nous pouvons en trouver un exemple dans le Livre du prophète Isaïe écrit au retour de l’Exil. Cela nous permettra de comprendre l’importance du message adressé aux 7 Eglises.
Pour cela rappelons-nous l’histoire de la foi d’Israël et les chemins qu’elle a pris au cours des siècles au sein d’un peuple conscient de son élection parmi d’autres. Nous aurons ainsi en main quelques clefs de compréhension pour que nous soient rendus plus accessibles certains passages de notre texte.
La foi d’Israël est née dans un creuset, celui des peuples dont il a été libéré, ceux qu’il a dépossédés, qui l’ont entouré, qui l’ont envahi, qui l’ont déporté et occupé. Nécessairement, sa connaissance de Dieu s’est enrichie et démarquée tour à tour de ces différents apports que constituaient les traditions religieuses de ces peuples. Ainsi, Abraham a-t-il quitté Ur en Chaldée et les traditions religieuses où l’on vénérait le soleil et la lune comme dieux. Il a aussi dû saisir la spécificité de sa foi par rapport aux habitudes des peuples cananéens et des sacrifices d’enfants, tandis qu’il gardait conscience d’être béni par le Dieu des pasteurs nomades.
Le mémorial de l’événement de l’Exode constitué par la délivrance de l’Egypte et la traversée de la Mer Rouge reste le souvenir vivant de l’action salvifique de Dieu envers son peuple. Il imprime dans la conscience d’Israël la certitude que le Seigneur agit toujours en sa faveur. Quand alors les évènements de l’Exil à Babylone sembleront faire croire que Dieu a rejeté son peuple ou qu’il n’est tout simplement pas à la hauteur de ses promesses, les prophètes s’emploieront à expliquer ces revers de fortune par une nouvelle compréhension de son mystère et de sa façon d’agir. Dieu est plus grand que ce que l’on avait pu en comprendre et le mystère du mal et de la souffrance qui constituent présentement un scandale sont assumés dans une nouvelle révélation.
On réécrira les origines de l’homme en proposant deux lectures distinctes de l’apparition du mal : Ou bien aux origines Dieu a créé la Torah, sa Loi, pour qu’à partir des commandements les hommes apprennent à grandir dans la liberté et le choix progressif du bien et parviennent à entrer peu à peu dans sa bénédiction. Le mal n’est que la conséquence du mauvais usage de la liberté que Dieu a donnée à l’homme. Selon la tradition du Livre du Siracide en version grecque, Dieu « l’a laissé à son propre conseil » (Si. 15,14). Si l’homme choisit le bien, il obtient la vie, s’il choisit le mal, il obtient la mort en péchant. C’est par les sacrifices offerts au temple de Jérusalem que s’obtient l’expiation des péchés.
Ou bien aux origines Dieu a créé les hommes bons et immortels à son image. Il leur donne la Torah dans le jardin d’Eden, image du temple. Mais ceux-ci refusent son amour, inspirés par l’ange mauvais. Dieu est comme alors retiré et voilé dans sa gloire devenue inaccessible. L’homme est devenu mortel, et Dieu « l’a laissé au Mauvais » selon le même texte du Siracide dans la tradition hébraïque. Il ne peut être sauvé que par l’intervention d’un ange ou d’un envoyé céleste qui dévoilera le Temple nouveau et la Torah nouvelle pour le recréer à son image.
En aucun cas, il n’y a de lutte entre un dieu du mal et un dieu du bien comme l’expliquent les autres systèmes religieux (mazdéisme et manichéisme) pour satisfaire à la compréhension de l’introduction du mal dans le monde. L’unique Dieu est amour et le mal est la conséquence d’un mauvais choix de l’homme. Nous voyons que la deuxième conception introduit le courant que l’on appelle apocalyptique dans lequel est mise en évidence l’intervention d’un envoyé céleste pour apporter une ‘Révélation’, comme aussi d’un instigateur du mal, l’Adversaire, qui rend mauvais par la tentation l’homme créé bon à l’origine. C’est évidemment dans ce courant théologique que les évangiles situeront la venue de Jésus ainsi que le Livre de l’Apocalypse proprement dit.
Le Livre du prophète Isaïe aux chapitres 56 à 66 est rédigé dans cette tradition théologique apocalyptique. Les exilés reviennent de Babylone et reconstruisent le Temple de Jérusalem et la cité. Mais la réalité ne correspondra pas à leurs attentes. C’est du Ciel que viendra le Messie pour transfigurer toutes choses.
Nous pouvons mettre en évidence les thèmes évoqués par le prophète et qui apparaissent également dans le Livre de l’Apocalypse :
Ch. 56, 1-8 : avènement des peuples : les peuples sont appelés à se convertir et à se joindre à Israël pour le Règne du Seigneur : « ma maison sera appelée maison de prière pour tous les peuples » (v.7).
Ch. 56, 9- 57, 21 : dénonciation du péché et promesse de consolation : Dieu se retire devant le refus de l’homme. La Torah est voilée et la Gloire de Dieu se retire du Temple : « Contre sa criminelle cupidité j’ai été irrité, en me cachant je l’ai frappé » (57, 17).
Ch. 58 : jeûne et shabbat : la prière et le jeûne peuvent disposer le cœur de l’homme à accueillir le retour de Dieu : « Si tu te prives pour l’affamé et si tu rassasies l’opprimé, ta lumière se lèvera dans les ténèbres, et l’obscurité sera pour toi comme le milieu du jour » (58, 10).
Ch. 59, 1-14 : cantique : la louange réveille l’espérance dans le cœur des croyants en rappelant les actions salvifiques de Dieu : « Non, la main de Yhvh n’est pas trop courte pour sauver, ni son oreille trop dure pour entendre » (v.1).
Ch. 59, 15-20 : apocalypse : le Seigneur dévoilera à nouveau son visage : « Alors un rédempteur viendra à Sion » (v.20).
Ch. 59, 21- 60, 22 : Jérusalem apparaîtra dans sa gloire : « Yhvh sera pour toi une lumière éternelle, et ton Dieu sera ta splendeur » (60, 19).
Ch. 61 : le Messie : l’Esprit de Dieu vient recréer la terre par son Messie et mettre fin à la rupture d’alliance : « L’esprit du Seigneur Yhvh est sur moi, car Yhvh m’a donné l’onction » (v.1).
Les autres chapitres (62-66) reprennent les mêmes thématiques de façon symétrique autour de ce noyau central (Ch. 61) constitué par l’avènement du Messie. Grâce à cet enracinement biblique, nous saisissons mieux combien tout le texte du Livre de l’Apocalypse est dépendant de la tradition des prophètes, des sages et de la foi d’Israël. Il ne peut être lu et compris qu’à partir de l’espérance présente au cœur des croyants. Il ne peut dévoiler sa nouveauté qu’en attestant que celui qui était attendu est vraiment venu, le Christ.
à suivre