image : fresque de st michel d’Aiguilhe, diocèse du Puy
2 LA REVELATION DU CHRIST
LE CHRIST RESSUSCITE 1, 9-20
9 Moi Jean, votre frère, et qui ai part avec vous à la tribulation et au royaume et à la persévérance en Jésus, j’étais dans l’île appelée Patmos, à cause de la parole de Dieu et du témoignage de Jésus. 10 Je fus ravi en esprit au jour du Seigneur, et j’entendis derrière moi une voix forte, comme le son d’une trompette, 11 qui disait : Ce que tu vois, écris-le dans un livre, et envoie-le aux sept Églises, à Éphèse, à Smyrne, à Pergame, à Thyatire, à Sardes, à Philadelphie, et à Laodicée. 12 Je me retournai pour connaître quelle était la voix qui me parlait. Et, après m’être retourné, je vis sept chandeliers d’or, 13 et, au milieu des sept chandeliers, quelqu’un qui ressemblait à un fils d’homme, vêtu d’une longue robe, et ayant une ceinture d’or sur la poitrine. 14 Sa tête et ses cheveux étaient blancs comme de la laine blanche, comme de la neige ; ses yeux étaient comme une flamme de feu ; 15 ses pieds étaient semblables à de l’airain ardent, comme s’il eût été embrasé dans une fournaise ; et sa voix était comme le bruit de grandes eaux. 16 Il avait dans sa main droite sept étoiles. De sa bouche sortait une épée aiguë, à deux tranchants ; et son visage était comme le soleil lorsqu’il brille dans sa force. 17 Quand je le vis, je tombai à ses pieds comme mort. Il posa sur moi sa main droite en disant : Ne crains point ! 18 Je suis le premier et le dernier, et le vivant. J’étais mort ; et voici, je suis vivant aux siècles des siècles. Je tiens les clefs de la mort et du séjour des morts. 19 Écris donc les choses que tu as vues, et celles qui sont, et celles qui doivent arriver après elles, 20 le mystère des sept étoiles que tu as vues dans ma main droite, et des sept chandeliers d’or. Les sept étoiles sont les anges des sept Églises, et les sept chandeliers sont les sept Églises. On peut retenir 3 tableaux principaux parmi d’autres dans le Livre : le Christ Ressuscité tel que nous le lisons maintenant, la Femme qui enfante et la Jérusalem qui descend du Ciel comme une fiancée parée pour son époux. Ils structurent l’ensemble littéraire selon un triptyque : un tableau à chaque extrémité et un au centre. On pourrait ainsi en donner un sens tel que la Femme qui enfante représente l’Eglise affrontée aux persécutions et trouve la force de la foi et de la lutte contre l’adversaire en posant à la fois son regard sur le Christ ressuscité et sur sa destinée à venir que représente la Nouvelle Jérusalem.
Entrons dans la compréhension de ce tableau qui ouvre le Livre à partir du plan qui se dégage : 3 parties :
v. 9-11 : la situation v. 12-16 : la vision v. 17-20 : la mission
v. 9-11 : la situation :
Désormais, c’est Jean le visionnaire qui parle et témoigne de ce qu’il a vu. La première partie nous livre donc les circonstances dans lesquelles il a reçu la Révélation du Seigneur.
Le lieu, l’île de Patmos qui se trouve au centre de l’espace maritime, la Mer Egée, délimité par l’île de Crête au sud, la région de l’Achaïe à l’ouest avec Athènes et Corinthe, et le territoire de l’Asie à l’est où se trouvent toutes les villes qui abritent les Eglises citées ici et dont on parlera plus loin.
Le moment : le jour du Seigneur, donc un dimanche, jour de la résurrection. Les circonstances : tandis que Jean prêche et enseigne la communauté chrétienne résidant sur place, affrontée à la persécution et exigeant le réconfort de la visite et de la prédication de l’auteur, celui-ci est ravi en extase, comme pour mieux dire que ce dont il est le témoin ne provient pas d’une connaissance humaine. Il y a vision et audition d’une parole signifiée par le retentissement de la trompette.
v. 12-16 : la vision :
Il s’agit d’une vision impressionnante par la puissance de l’évocation contenue dans chacun des symboles ici déployés. Qu’il nous suffise de les énoncer pour les commenter.
Je me retournai : ce retournement, non seulement physique, signifie aussi un retournement intérieur. C’est au plus profond de lui-même que Jean va découvrir le Seigneur se révélant. On peut faire allusion aux autres retournements exprimés dans l’évangile où Marie Magdeleine visite le tombeau, penchée là où le Christ mort avait été déposé. C’est après deux retournements qu’elle reconnaît le Christ (Jn. 20, 11-16).
pour regarder la voix : expression a priori étrange qui ne peut se comprendre que si l’on sait que dans la langue hébraïque le terme parole et le terme événement s’expriment tous les deux avec le même mot : davar. C’est ce qui a permis au Concile Vatican II dans la Constitution sur la Révélation divine, Dei Verbum n°2, d’expliquer que : la Révélation comprend des événements et des paroles intimement unis entre eux, de sorte que les oeuvres, réalisées par Dieu dans l’histoire du salut, attestent et corroborent et la doctrine et le sens indiqués par les paroles, tandis que les paroles publient les oeuvres et éclairent le mystère qu’elles contiennent. Ici, regarder la voix donne à entendre que les paroles se réfèrent à des actions du Christ qui témoignent de son œuvre de salut.
revêtu d’une longue robe : il s’agit du vêtement liturgique du grand prêtre dont on peut lire la description précise au Livre de l’Exode, ch. 28. Ici, il s’agit de présenter le Christ dans l’excellence de son sacerdoce, seul autorisé à pénétrer dans le sanctuaire, mais ayant désormais ouvert une voie d’accès à ceux qui ont foi en lui. L’épître aux Hébreux présente d’ailleurs le Christ comme l’unique grand prêtre capable d’introduire son peuple en présence de Dieu : « lui, du fait qu’il demeure pour l’éternité, il a un sacerdoce immuable. D’où il suit qu’il est capable de sauver de façon définitive ceux qui par lui s’avancent vers Dieu, étant toujours vivant pour intercéder en leur faveur. Oui, tel est précisément le grand prêtre qu’il nous fallait, saint, innocent, immaculé, séparé désormais des pécheurs, élevé plus haut que les cieux » (Héb. 7, 24-26)
sa tête, avec ses cheveux blancs : l’expression s’inspire du prophète Daniel (7, 9). Elle nous fait comprendre que celui qui apparaît ainsi vient du Ciel et possède l’autorité du Seigneur en personne pour juger.
ses yeux comme une flamme ardente : Rien ne lui échappe. Il est précisément celui qui scrute les reins et les cœurs : « Moi, Yhvh, je scrute le cœur, je sonde les reins, pour rendre à chacun d’après sa conduite, selon le fruit de ses œuvres » (Jér. 17, 10).
ses pieds pareils à de l’airain précieux : « Ce Dieu qui me ceint de force et rend ma voie irréprochable, qui égale mes pieds à ceux des biches et me tient debout sur les hauteurs » (1 Sam. 22, 33-34). Le symbolisme des pieds signifie la qualité inébranlable de celui qui se tient debout. Rien ni personne ne peut le faire tomber, à l’inverse de la statue que le prophète Daniel voit en songe, représentant la fragilité du pouvoir humain « ses jambes de fer, ses pieds partie fer et partie argile » (Dan. 2, 33). Face à ceux qui viennent l’arrêter au Jardin des Oliviers, Jésus reste debout tandis que ses ennemis tombent à la renverse. Ainsi en est-il pour les faux dieux, comme Dagôn dans le temple des Philistins (1 Sam. 5).
la voix des grandes eaux : L’allusion est faite à la puissance de la voix qui retentit et qui bouleverse la création jusqu’en ses fondements. Telle est la puissance de la Parole divine que nul ne peut refuser d’entendre. Ainsi le Psaume 93 : « les fleuves déchaînent leur voix, les fleuves déchaînent leur fracas ; plus que la voix des eaux innombrables, plus superbe que le ressac de la mer ; superbe est Yhvh dans les hauteurs. (Ps. 93, 3-4). L’épître aux Hébreux donne le sens plus théologique de la puissance de la voix puisque c’est elle qui fera passer du monde ancien au monde nouveau : « Celui dont la voix jadis ébranla la terre nous a fait maintenant cette promesse : Encore une fois, moi j’ébranlerai non seulement la terre mais aussi le ciel. Cet encore une fois indique que les choses ébranlées seront changées, puisque ce sont des réalités créées, pour que subsistent celles qui sont inébranlables » (Héb. 12, 26-27).
sa main droite : elle est le symbole de l’action toute puissante de Dieu dans la création et dans le salut. « Ni leur épée ne conquit le pays, ni leur bras n’en fit des vainqueurs, mais ce furent ta droite et ton bras et la lumière de ta face, car tu les aimais » (Ps. 44, 4).
de sa bouche sort une épée : « Vivante, en effet, est la parole de Dieu, efficace et plus incisive qu’aucun glaive à deux tranchants, elle pénètre jusqu’au point de division de l’âme et de l’esprit, des articulations et des moelles, elle peut juger les sentiments et les pensées du cœur » (Héb. 4, 12). Et Jésus de dire à ses apôtres qu’ils ont été purifiés par la Parole qu’il leur a annoncée (Jn 15,3).
son visage, c’est comme le soleil : Ici, nous ne pouvons pas ne pas penser aux récits de la Transfiguration de Jésus (Mt. 17) qui reprennent aussi les visions de Daniel. « En lui habite corporellement la plénitude de la divinité », dira saint Paul (Col. 2, 9) et se faisant, il ne manquera pas de faire allusion à sa rencontre avec le Ressuscité sur le chemin de Damas : « C’est ainsi que je me rendis à Damas avec pleins pouvoirs et mission des grands prêtres. En chemin, vers midi, je vis, ô roi, venant du ciel et plus éclatante que le soleil, une lumière qui resplendit autour de moi et de ceux qui m’accompagnaient » (Ac. 26, 12-13). Cette expérience le marqua de façon décisive comme on le sait, aussi répètera-t-il : « Nous tous qui, le visage découvert, réfléchissons comme en un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en cette même image, allant de gloire en gloire, comme de par le Seigneur, qui est Esprit » (2 Co. 3, 18).
Cette accumulation de détails dans la description, faisant référence à de nombreux textes bibliques, nous permet d’accéder à la richesse d’une telle évocation et tout ce que le visionnaire a pu ressentir face à la vision du Seigneur. Quels mots utiliser pour en rendre compte sinon rappeler toutes les images qui habitent sa mémoire ? Elles nous aident à mettre des faits historiques précis derrière les mots qui sont plus que des mots, des paroles, des évènements !
v. 17-20 : la mission :
Jean reçoit une mission. Toute connaissance de Dieu oblige d’une certaine façon. Car elle transforme la façon de voir les choses, de comprendre sa propre vie et celle d’autrui. Une responsabilité naît toujours d’un savoir acquis. Et les apôtres le rediront souvent face à ceux qui leur demandent de se taire : « Nous ne pouvons pas, quant à nous, ne pas publier ce que nous avons vu et entendu » (Ac. 4, 20).
Mais cette mission, Jean la reçoit. Il ne se la donne pas de lui-même. Et il est capable de nous dire de qui il l’a reçue : c’est le Premier et le Dernier, Celui qui était mort et qui est Vivant ; Il tient les clefs de la Mort. En se prosternant, il reconnaît son Seigneur : « Entrez, courbons-nous, prosternons-nous ; à genoux devant Yhvh qui nous a faits ! » (Ps.95, 6). C’est Celui qui nous a faits et qui est allé là où nul ne peut aller, le shéol, le lieu des morts, d’où Il est revenu pour les extraire. Toute la mission que reçoit Jean, et c’est aussi la nôtre, s’enracine dans cette rencontre avec le Vivant pour toujours. Nous sommes les disciples de Celui qui a tout pouvoir, au ciel, sur terre et dans les enfers.
Aussi Jean reçoit-il l’ordre d’écrire ce qu’il voit maintenant. A partir de ce qu’il voit, il doit redire ce qui doit advenir : le mystère des 7 étoiles. Le Seigneur se révèle comme Celui qui est présent dans son Eglise et qui la conduit, l’instruit et veille sur elle pour la garder sans cesse contre les erreurs et contre le péché qu’elle pourrait entretenir. Cette vigilance est particulière. Il ne s’agit pas d’éviter à l’Eglise l’expérience de l’erreur ou du péché, mais de lui donner sans cesse les moyens de les identifier et d’y remédier par la prière, la conversion et l’obéissance à la Parole.
Nous dirons un mot sur les 7 candélabres. Ils désignent la Ménorah, cette lampe constamment allumée dans le sanctuaire : « Quant à toi,[Moïse]tu ordonneras aux Israélites de te procurer de l’huile d’olives broyées pour le luminaire, afin qu’une lampe brûle en permanence. Aaron et ses fils disposeront cette lampe dans la Tente du Rendez-vous, à l’extérieur du rideau qui pend devant le Témoignage, pour qu’elle brûle du soir au matin devant Yhvh. C’est un décret perpétuel pour les générations des Israélites » (Ex. 27, 20-21). Elle est constituée de 7 flambeaux réunis sur un même pied : « Tu feras un candélabre d’or pur ; Six branches s’en détacheront sur les côtés : trois branches du candélabre d’un côté, trois branches du candélabre de l’autre côté. Puis tu feras ses sept lampes » (Ex. 25, 31-37).
Résumons tout ce que nous venons de mettre en lumière ( !) et tachons d’y découvrir l’enseignement théologique qu’il contient pour la nourriture de notre foi.
L’humain devient le lieu privilégié de la Révélation par l’Incarnation
Cette vision du Christ ressuscité est l’affirmation de son incarnation, celle du Verbe de Dieu. Il est vraiment Dieu et vraiment homme. Son humanité est le langage par lequel Il exprime sa divinité. Notre humanité en reçoit une incomparable dignité. L’humain devient le lieu privilégié de la Révélation de Dieu. En s’approchant aussi près de l’homme jusqu’à le toucher, Dieu le recrée et le conduit à la plénitude de sa destinée, à l’achèvement de sa création. En se faisant homme, Dieu donne à l’homme sa plénitude, le rend plus humain et ne l’aliène en rien. Toutes ses facultés sont respectées, et même révélées de cachées et assombries qu’elles étaient par le péché. Quand Dieu s’unit à l’homme, l’homme devient plus humain. C’est à l’homme, dorénavant, de s’unir à Dieu dans l’exercice d’un choix libre et en connaissance de cause. Le Livre de l’Apocalypse nous trace ce chemin au cours duquel la grâce de Dieu libère l’homme et purifie en les redressant toutes ses facultés détournées et dévoyées.
Nous comprenons alors mieux combien le rapport du Créateur à la créature ne procède pas d’un rapport de force comme le laissent entendre les adversaires de la foi, et le premier, le serpent à la femme : « Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux » (Gn. 3, 5). Parlant ainsi, il sous-entend que le domaine de Dieu est interdit à l’homme sous peine de mort. Au contraire, quand l’homme se laisse aimer par Dieu et l’accueille dans sa vie, il n’en devient que meilleur : sa liberté se perfectionne parce qu’il se tourne vers son Créateur. Sa nature ne perd en rien son intégrité. Ainsi l’incarnation virginale : Marie demeure vierge avant, pendant et après la conception et l’enfantement du Christ. Quant à l’union de Dieu en l’homme, dans le Christ, elle est d’une telle perfection qu’il n’y a pas deux personnes, mais une seule qui est sujet d’opération de toutes les activités humaines, à savoir la Personne divine du Fils. Les deux natures sont parfaitement unies, pas seulement côte à côte, ni à l’inverse, tellement qu’elles formeraient un tout confus et mélangé sans distinction, mais telles qu’aucune des deux natures n’agit sans l’autre et aucune en agissant ne perd sa qualité propre.
A suivre