MESSE DE BEATIFICATION, sermon
CITE DU VATICAN, 1 MAI 2011 (VIS). A 10 h Place St.Pierre, Dimanche de la divine Miséricorde du temps pascal, Benoît XVI a présidé la messe de béatification de son prédécesseur Jean-Paul II (1920 - 2005), en présence de 87 délégations nationales, cinq guidées par des souverains, 16 par des chefs d'état, et parmi ces derniers les présidents polonais et italiens, ainsi que 7 chefs de gouvernement. Plusieurs centaines de milliers de fidèles étaient amassés sur la place et les environs de la Cité du Vatican, ainsi qu'au Circo Massimo, tous lieux dotés d'écrans géants. Voici l'homélie prononcée par le Saint-Père:
"Chers frères et sœurs. Il y a six ans désormais, nous nous trouvions sur cette place pour célébrer les funérailles de Jean-Paul II. La douleur causée par sa mort était profonde, mais supérieur était le sentiment qu'une immense grâce enveloppait Rome et le monde entier. Cette grâce qui était en quelque sorte le fruit de toute la vie de mon bien-aimé prédécesseur et, en particulier, de son témoignage dans la souffrance. Ce jour-là, nous sentions déjà flotter le parfum de sa sainteté, et le Peuple de Dieu a manifesté de nombreuses manières sa vénération envers lui. C'est pourquoi j'ai voulu, tout en respectant la réglementation de l'Eglise, que sa cause de béatification puisse avancer avec une certaine célérité. Et voici que le jour tant attendu est arrivé. Il est promptement arrivé, car il en a plu ainsi au Seigneur. Jean-Paul II est bienheureux! Je désire adresser mes cordiales salutations à vous tous qui, pour cette heureuse circonstance, êtes venus si nombreux à Rome de toutes les régions du monde, aux Cardinaux, Patriarches des Eglises orientales catholiques, à nos confrères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce, aux Délégations officielles, aux Ambassadeurs et autres autorités, aux personnes consacrées et fidèles laïcs, ainsi qu'à tous ceux qui nous sont unis à travers la radio et la télévision".
"Ce dimanche est le deuxième dimanche de Pâques, que le bienheureux Jean-Paul II a dédié à la divine Miséricorde. C'est pourquoi ce jour a été choisi pour cette cérémonie, car, par un dessein providentiel, mon prédécesseur a rendu l'âme justement la veille au soir de cette fête. Aujourd'hui, de plus, c'est le premier jour du mois de mai, le mois de Marie, et c'est aussi la mémoire de saint Joseph travailleur. Ces éléments contribuent à enrichir notre prière et ils nous aident, nous qui sommes encore pèlerins dans le temps et dans l'espace, tandis qu'au Ciel, la fête parmi les anges et les saints est bien différente! Toutefois unique est Dieu, et unique est le Christ Seigneur qui, comme un pont, relie la terre et le Ciel, et nous, en ce moment, nous nous sentons plus que jamais proches, presque participants de la Liturgie céleste. Heureux ceux qui n'ont pas vu et qui ont cru, rapporte Jean. Dans l'Evangile de ce jour, Jésus prononce cette béatitude de la foi. Elle nous frappe de façon particulière parce que nous sommes justement réunis pour célébrer une béatification, et plus encore parce qu'aujourd'hui a été proclamé bienheureux un Pape, un Successeur de Pierre, appelé à confirmer ses frères dans la foi. Jean-Paul II est bienheureux pour sa foi, forte et généreuse, apostolique. Et, tout de suite, nous vient à l'esprit cette autre béatitude: Tu es heureux, Simon fils de Jonas, car cette révélation t'est venue, non de la chair et du sang, mais de mon Père qui est dans les cieux. Qu'a donc révélé le Père céleste à Simon? Que Jésus est le Christ, le Fils du Dieu vivant. Grâce à cette foi, Simon devient Pierre, le rocher sur lequel Jésus peut bâtir son Eglise".
"La béatitude éternelle de Jean-Paul II, qu'aujourd'hui l'Eglise a la joie de proclamer, réside entièrement dans ces paroles du Christ: Tu es heureux, Simon et heureux ceux qui n'ont pas vu et qui ont cru. La béatitude de la foi, que Jean-Paul II aussi a reçue en don de Dieu le Père, pour l'édification de l'Eglise du Christ. Cependant notre pensée va à une autre béatitude qui, dans l'Evangile, précède toutes les autres. C'est celle de la Vierge Marie, la Mère du Rédempteur. C'est à elle, qui vient à peine de concevoir Jésus dans son sein, que sainte Élisabeth dit: Bienheureuse celle qui a cru en l'accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur! La béatitude de la foi a son modèle en Marie et nous sommes tous heureux que la béatification de Jean-Paul II advienne le premier jour du mois marial, sous le regard maternel de celle qui, par sa foi, soutient la foi des apôtres et soutient sans cesse la foi de leurs successeurs, spécialement de ceux qui sont appelés à siéger sur la chaire de Pierre. Marie n'apparaît pas dans les récits de la résurrection du Christ, mais sa présence est comme cachée partout: elle est la Mère, à qui Jésus a confié chacun des disciples et la communauté tout entière. En particulier, nous notons que la présence effective et maternelle de Marie est signalée par saint Jean et par saint Luc dans des contextes qui précèdent ceux de l'Evangile de ce jour et de la première lecture, Dans le récit de la mort de Jésus, où Marie apparaît au pied de la croix, et au début des Actes des Apôtres, qui la montrent au milieu des disciples réunis en prière au Cénacle. La deuxième lecture nous parle aussi de la foi, et c'est justement saint Pierre qui écrit, plein d'enthousiasme spirituel, indiquant aux nouveaux baptisés les raisons de leur espérance et de leur joie. J'aime observer que dans ce passage, au début de sa première épître, Pierre n'emploie pas le mode exhortatif, mais indicatif pour s'exprimer. Il écrit en effet: Vous en tressaillez de joie, et il ajoute: Sans l'avoir vu vous l'aimez, sans le voir encore, mais en croyant, vous tressaillez d'une joie indicible et pleine de gloire, sûrs d'obtenir l'objet de votre foi: le salut des âmes. Tout est à l'indicatif, parce qu'existe une nouvelle réalité, engendrée par la résurrection du Christ, une réalité accessible à la foi. C'est là l'œuvre du Seigneur, dit le Psaume 118: Ce fut une merveille à nos yeux , les yeux de la foi".
"Chers frères et sœurs, aujourd'hui, resplendit à nos yeux, dans la pleine lumière spirituelle du Christ ressuscité, la figure aimée et vénérée de Jean-Paul II. Aujourd'hui, son nom s'ajoute à la foule des saints et bienheureux qu'il a proclamés durant les presque 27 ans de son pontificat, rappelant avec force la vocation universelle à la dimension élevée de la vie chrétienne, à la sainteté, comme l'affirme la Constitution conciliaire Lumen Gentium sur l'Eglise. Tous les membres du Peuple de Dieu, évêques, prêtres, diacres, fidèles laïcs, religieux, religieuses, nous sommes en marche vers la patrie céleste, où nous a précédé la Vierge Marie, associée de manière particulière et parfaite au mystère du Christ et de l'Eglise. Karol Wojtyla, d'abord comme Evêque auxiliaire puis comme Archevêque de Cracovie, a participé au Concile Vatican II et il savait bien que consacrer à Marie le dernier chapitre du Document sur l'Eglise signifiait placer la Mère du Rédempteur comme image et modèle de sainteté pour chaque chrétien et pour l'Eglise entière. Cette vision théologique est celle que le bienheureux Jean-Paul II a découverte quand il était jeune et qu'il a ensuite conservée et approfondie toute sa vie. C'est une vision qui est synthétisée dans l'icône biblique du Christ sur la croix ayant auprès de lui Marie, sa mère. Icône qui se trouve dans l'Evangile de Jean et qui est résumée dans les armoiries épiscopales puis papales de Karol Wojtyla: une croix d'or, un M en bas à droite, et la devise Totus Tuus, qui correspond à la célèbre expression de saint Louis Marie Grignion de Montfort, en laquelle il avait trouvé un principe fondamental pour sa vie: Totus tuus ego sum et omnia mea tua sunt. Accipio Te in mea omnia. Praebe mihi cor tuum, Maria, Je suis tout à toi et tout ce que j'ai est à toi. Sois mon guide en tout. Donnes-moi ton cœur, O Marie".
"Dans son Testament, le nouveau bienheureux écrivait: Lorsque, le 16 octobre 1978, le conclave des Cardinaux choisit Jean-Paul II, le Primat de la Pologne, le Cardinal Stefan Wyszynski, me dit que le devoir du nouveau Pape serait d'introduire l'Eglise dans le troisième Millénaire, ajoutant: Je désire encore une fois exprimer ma gratitude à l'Esprit Saint pour le grand don du Concile Vatican II, envers lequel je me sens débiteur envers l'Eglise tout entière et surtout avec l'épiscopat tout entier. Je suis convaincu qu'il sera encore donné aux nouvelles générations de puiser pendant longtemps aux richesses que ce concile du XX siècle nous a offertes. En tant qu'évêque qui a participé à l'événement conciliaire du premier au dernier jour, je désire confier ce grand patrimoine à tous ceux qui sont et qui seront appelés à le réaliser à l'avenir. Pour ma part, je rends grâce au Pasteur éternel qui m'a permis de servir cette très grande cause au cours de toutes les années de mon pontificat. Et quelle est cette cause? Celle-là même que Jean-Paul II a formulée au cours de sa première messe solennelle sur la place St.Pierre, par ces paroles mémorables: N'ayez pas peur! Ouvrez, ouvrez toutes grandes les portes au Christ! Ce que le Pape nouvellement élu demandait à tous, il l'a fait lui-même le premier. Il a ouvert au Christ la société, la culture, les systèmes politiques et économiques, en inversant avec une force de géant, force qui lui venait de Dieu, une tendance qui pouvait sembler irréversible. Par son témoignage de foi, d'amour et de courage apostolique, accompagné d'une grande charge humaine, ce fils exemplaire de la nation polonaise a aidé les chrétiens du monde entier à ne pas avoir peur de se dire chrétiens, d'appartenir à l'Eglise, de parler de l'Evangile. En un mot, il nous a aidés à ne pas avoir peur de la vérité, car la vérité est garantie de liberté. De façon plus synthétique encore. Il nous a redonné la force de croire au Christ, car le Christ est le Rédempteur de l'homme, thème de sa première encyclique et fil conducteur de toutes les autres".
"Karol Wojtyla est monté sur le siège de Pierre, apportant avec lui sa profonde réflexion sur la confrontation, centrée sur l'homme, entre le marxisme et le christianisme. Son message a été celui-ci: L'homme est le chemin de l'Eglise, et Christ est le chemin de l'homme. Par ce message, qui est le grand héritage du Concile Vatican II et de son timonier, le Serviteur de Dieu Paul VI, Jean-Paul II a conduit le Peuple de Dieu pour qu'il franchisse le seuil du troisième millénaire chrétien, qu'il a pu appeler, précisément grâce au Christ, le seuil de l'espérance. Oui, à travers le long chemin de préparation au Grand Jubilé, il a donné au Christianisme une orientation renouvelée vers l'avenir, l'avenir de Dieu, transcendant quant à l'histoire, mais qui, quoi qu'il en soit, a une influence sur l'histoire. Cette charge d'espérance qui avait été cédée en quelque sorte au marxisme et à l'idéologie du progrès, il l'a légitimement revendiquée pour le christianisme, en lui restituant la physionomie authentique de l'espérance, à vivre dans l'histoire avec un esprit d'avent, dans une existence personnelle et communautaire orientée vers le Christ, plénitude de l'homme et accomplissement de ses attentes de justice et de paix. Je voudrais enfin rendre grâce à Dieu pour l'expérience personnelle qu'il m'a accordée, en collaborant pendant une longue période avec le bienheureux Jean-Paul II. Auparavant, j'avais déjà eu la possibilité de le connaître et de l'estimer, mais à partir de 1982, quand il m'a appelé à Rome comme Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, j'ai pu lui être proche et vénérer toujours plus sa personne pendant 23 ans. Mon service a été soutenu par sa profondeur spirituelle, par la richesse de ses intuitions. L'exemple de sa prière m'a toujours frappé et édifié. Il s'immergeait dans la rencontre avec Dieu, même au milieu des multiples obligations de son ministère. Et puis son témoignage dans la souffrance: le Seigneur l'a dépouillé petit à petit de tout, mais il est resté toujours un rocher, comme le Christ l'a voulu. Sa profonde humilité, enracinée dans son union intime au Christ, lui a permis de continuer à guider l'Eglise et à donner au monde un message encore plus éloquent précisément au moment où les forces physiques lui venaient à manquer. Il a réalisé ainsi, de manière extraordinaire, la vocation de tout prêtre et évêque: ne plus faire qu'un avec ce Jésus, qu'il reçoit et offre chaque jour dans l'Eucharistie. Bienheureux es-tu, bien aimé Jean-Paul II, parce que tu as cru! Continue, nous t'en prions, de soutenir du Ciel la foi du Peuple de Dieu. Tant de fois tu nous as béni depuis cette place, alors bénit nous à nouveau depuis cette fenêtre. Amen".
La fête liturgique du bienheureux Jean-Paul II a été fixée au 22 octobre.
Comment est née l’amitié de Karol Wojtyla et Joseph Ratzinger ? Une interview de Benoît XVI qui permet de comprendre Jean-Paul II
Entretien de Benoît XVI à la TV polonaise, 16 octobre 2005
ROME, Jeudi 28 avril 2011 (ZENIT.org) - Comment est née l'amitié de Karol Wojtyla et Joseph Ratzinger ? Benoît XVI en a parlé en 2005, à l'occasion de l'anniversaire de l'élection de Jean-Paul II, le 16 octobre, à l'occasion de la « Journée Jean-Paul II » célébrée en Pologne chaque année à cette date.
Benoît XVI répondait aux questions de Andrzej Majewski, responsable des émissions catholiques pour la télévision publique polonaise
Voici les principaux passages de cet entretien exceptionnel:
A. Majewski - Saint Père, comment est née cette amitié et quand votre Sainteté a-t-elle connu le Cardinal Karol Wojtyla?
Benoît XVI - Personnellement, j'ai fait sa connaissance lors des deux pré-conclave et conclave de 1978. J'avais naturellement entendu parler du Cardinal Wojtyla, au départ surtout dans le contexte de l'échange de lettres entre les évêques polonais et allemands, en 1965. Les cardinaux allemands m'ont raconté combien le mérite et la contribution de l'Archevêque de Cracovie étaient grands et qu'il était vraiment l'âme de cette correspondance réellement historique. J'avais également eu écho, par des amis universitaires, de sa philosophie et de sa stature de penseur. Mais comme je l'ai dit, la première rencontre personnelle a eu lieu lors du conclave de 1978. Dès le départ, j'ai éprouvé une grande sympathie et, grâce à Dieu, sans l'avoir méritée, j'ai reçu dès le début le don de son amitié. Je suis reconnaissant de cette confiance qu'il m'a accordée, sans que je le mérite. Surtout en le voyant prier, j'ai vu et pas seulement compris, j'ai vu que c'était un homme de Dieu. Telle était l'impression fondamentale: un homme qui vit avec Dieu, et même en Dieu. Ensuite, j'ai été impressionné par sa cordialité sans préjugés vis-à-vis de moi. Au cours de ces rencontres du pré-conclave des cardinaux, il a pris plusieurs fois la parole et, là, j'ai eu l'occasion d'apprécier l'envergure du penseur. Ainsi était née, en toute simplicité, une amitié qui venait vraiment du cœur et, juste après son élection, le Pape m'a appelé plusieurs fois à Rome pour des entretiens et, à la fin, il m'a nommé préfet de la congrégation pour la Doctrine de la Foi.
A. Majewski - Donc, cette nomination et cette convocation à Rome n'ont pas été une surprise?
Benoît XVI - Pour moi c'était un peu difficile, parce que depuis le début de mon épiscopat à Munich, par la consécration comme évêque dans la cathédrale de la ville, il y avait pour moi comme une obligation, presque un mariage avec ce diocèse, et ils avaient aussi souligné que j'étais, depuis dès décennies, le premier évêque originaire du diocèse. Je me sentais donc très engagé et lié à ce diocèse. Puis il y avait des problèmes difficiles qui n'étaient pas encore résolus, et je ne voulais pas quitter le diocèse avec des problèmes non résolus. J'ai discuté de tout cela avec le Saint Père, avec cette grande ouverture et avec cette confiance qu'avait le Saint Père, qui était très paternel à mon égard. Il m'a alors donné le temps de réfléchir, lui-même voulait réfléchir. Il a fini par me convaincre, parce que c'était la volonté de Dieu. J'ai pu ainsi accepter cet appel et cette grande responsabilité, pas facile, qui en soi dépassait mes capacités. Mais confiant dans la bienveillance paternelle du Pape et guidé par l'Esprit Saint, j'ai pu dire oui.
A. Majewski - Cette expérience dura plus de vingt ans...
Benoît XVI - Oui, je suis arrivé en février 1982 et elle a duré jusqu'à la mort du Pape, en 2005.
A. Majewski - Quels sont, selon vous, Saint Père, les points les plus significatifs du pontificat de Jean Paul II?
Benoît XVI - Je dirais que l'on peut adopter deux points de vue: un externe, sur le monde, et un interne, sur l'Eglise. En ce qui concerne le monde, il me semble que le Saint Père, avec ses discours, sa personne, sa présence, sa capacité de convaincre, a créé une nouvelle sensibilité pour les valeurs morales, pour l'importance de la religion dans le monde. Cela a entraîné une nouvelle ouverture, une nouvelle sensibilité pour les problèmes de la religion, pour la nécessité de la dimension religieuse chez l'homme et, par dessus tout, l'importance de l'Evêque de Rome s'est accrue de manière inimaginable. Tous les chrétiens, malgré les différences et malgré leur non reconnaissance du successeur de Saint Pierre, ont reconnu qu'il était le porte parole de la chrétienté. Personne d'autre au monde, ne peut parler ainsi au nom de la chrétienté au niveau mondial ni donner voix et force à la réalité chrétienne dans l'actualité du monde. Mais aussi pour la non-chrétienté et pour les autres religions, c'était lui, le porte parole des grandes valeurs de l'humanité. Il faut aussi dire qu'il est parvenu à créer un climat de dialogue entre les grandes religions et un sens commun des responsabilités à l'égard du monde, mais aussi que les violences et les religions sont incompatibles et que, ensemble, nous devons chercher le chemin de la paix, dans le cadre de notre responsabilité commune de l'humanité.
En ce qui concerne par ailleurs la situation de l'Eglise. Je dirais que, avant tout, il a su susciter l'enthousiasme des jeunes pour le Christ. Il s'agit d'une chose nouvelle, si nous pensons à la jeunesse de 1968 et des années 70. Seule une personne aussi charismatique pouvait susciter l'enthousiasme de la jeunesse pour le Christ et pour l'Eglise, ainsi que pour des valeurs exigeantes, lui seul pouvait réussir de cette façon à mobiliser la jeunesse du monde pour la cause de Dieu et pour l'amour du Christ. Il a créé dans l'Eglise, je pense, un nouvel amour pour l'Eucharistie . Nous sommes encore dans l'année de l'Eucharistie, qu'il a voulue avec tant d'amour; il a créé une nouvelle perception de la grandeur de la Divine Miséricorde ; et il a aussi beaucoup approfondi l'amour pour la Sainte Vierge , et il nous a ainsi conduits à une intériorisation de la foi et, en même temps, à une plus grande efficacité. Naturellement, il importe de mentionner également, comme nous le savons tous, sa contribution aux grands changements dans le monde en 1989, à l'effondrement du soi-disant socialisme réel.
A. Majewski - Au cours de vos rencontres personnelles et des entretiens avec Jean Paul II, qu'est-ce qui vous impressionnait le plus? Votre Sainteté, pourriez-vous nous raconter vos dernières rencontres avec lui, celles de cette année, peut-être?
Benoît XVI - Oui, nos deux dernières rencontres ont eu lieu, la première, à la polyclinique Gemelli , aux alentours du 5-6 février; et la deuxième, la veille de sa mort, dans sa chambre. Lors de la première rencontre, le Pape souffrait visiblement, mais il était pleinement lucide et très présent. J'y étais allé simplement pour un entretien de travail, parce que j'avais besoin qu'il prenne quelques décisions. Le Saint Père, bien que souffrant, suivait avec grande attention ce que je disais. Il me communiqua ses décisions en peu de mots, me donna sa bénédiction, me salua en allemand, tout en m'accordant sa pleine confiance et son amitié. Pour moi, cela a été très émouvant de voir, d'une part, qu'il souffrait en union avec le Seigneur souffrant, qu'il portait sa souffrance avec le Seigneur et pour le Seigneur; et, d'autre part, de voir qu' il resplendissait d'une sérénité intérieure et d'une lucidité complète.
La seconde rencontre a eu lieu le jour précédant sa mort: il était manifestement plus souffrant, entouré de médecins et d'amis. Il était encore très lucide, il m'a donné sa bénédiction. Il ne pouvait plus parler beaucoup. Pour moi, cette patience dans la souffrance qui fut la sienne a été un grand enseignement; surtout de voir et de sentir combien il était entre les mains de Dieu et comment il s'abandonnait à la volonté de Dieu. Malgré les douleurs visibles, il était serein, parce qu'il était entre les mains de l'Amour Divin.
A. Majewski - Très Saint Père, vous évoquez souvent dans vos discours le souvenir de Jean Paul II, et vous dites que c'était un grand Pape, un prédécesseur regretté et vénéré. Nous pensons toujours à vos paroles prononcées lors de la messe du 20 avril dernier, des paroles spécialement dédiées à Jean-Paul II. C'est vous, Saint Père, qui avez dit, je cite: « c'est comme s'il me tenait fortement par la main, je vois ses yeux rieurs et j'entends les paroles, qu'il m'adresse en particulier: ‘N'aie pas peur!' ». Saint Père, une question très personnelle: continuez-vous à sentir la présence de Jean-Paul II, et si oui, de quelle manière?
Benoît XVI - Certainement, je commence par répondre à la première partie de votre question. En parlant de l'héritage du Pape tout à l'heure, j'ai oublié de parler des nombreux documents qu'il nous a laissés - 14 encycliques, beaucoup de lettres pastorales et tant d'autres - et tout ceci représente un patrimoine richissime qui n'est pas encore suffisamment assimilé dans l'Eglise. Je pense que j'ai pour mission essentielle et personnelle de ne pas promulguer de nombreux nouveaux documents mais de faire en sorte que ces documents soient assimilés, car ils constituent un trésor très riche , ils sont l'authentique interprétation de Vatican II . Nous savons que le Pape était l'homme du Concile, qu'il avait assimilé intérieurement l'esprit et le lettre du Concile et, par ces textes, il nous fait vraiment comprendre ce que voulait et ce que ne voulait pas le Concile. Il nous aide à être véritablement Eglise de notre temps et des temps futurs.
A présent, j'en viens à la deuxième partie de votre question. Le Pape est toujours à mes côtés par ses textes: je l'entends et le vois parler, et je peux rester en dialogue continu avec le Saint Père, parce qu'il me parle toujours avec ces mots; je connais également l'origine de beaucoup de textes, et je me souviens des dialogues que nous avons eu sur l'un ou l'autre d'entre eux. Je peux poursuivre le dialogue avec le Saint Père. Naturellement, cette proximité qui passe par les mots est une proximité non seulement avec les textes, mais avec la personne, derrière les textes j'entends le Pape lui-même. Un homme qui va auprès du Seigneur, qui ne s'éloigne pas: de plus en plus je sens qu'un homme qui va auprès du Seigneur se rapproche encore davantage et je sens que, par le Seigneur, il est proche de moi, parce que je suis proche du Seigneur. Je suis proche du Pape et lui, maintenant, m'aide à être près du Seigneur et je cherche à entrer dans son climat de prière, d'amour du Seigneur, d'amour de la Sainte Vierge et je m'en remets à ses prières. Il y a également un dialogue permanent et aussi un « être proches », sous une forme nouvelle, mais une forme très profonde .
(...)
A. Majewski - Saint Père, au nom de tous les téléspectateurs, je vous remercie de tout cœur pour cette interview. Merci, Saint Père.
Benoît XVI - Merci à vous.
[Traduction réalisée par Radio Vatican]