Caractère général de la période : le Ralliement.
Le cardinal Lavigerie
Il s'agit d'une période où globalement la France va être gouvernée plus souvent par des ennemis de l'Eglise que par des amis ou des gouvernements impartiaux. La franc-maçonnerie est introduite dans les milieux dirigeants. La République est bien installée ( la 3eme république), le pape Léon XIII conseillera aux catholiques le " Ralliement ": ce ralliement de 1892 avait été préparé par une déclaration du cardinal Lavigerie, archevêque d'Alger, recevant des officiers français le 12 novembre 1890 (« Toast d'Alger »):
« Quand la volonté d'un peuple s'est nettement affirmée, que la forme d'un gouvernement n'a rien de contraire, comme le proclamait dernièrement Léon XIII, aux principes qui peuvent faire vivre les nations chrétiennes et civilisées, lorsqu'il faut, pour arracher son pays aux abîmes qui le menacent, l'adhésion sans arrière-pensée à cette forme de gouvernement, le moment vient de sacrifier tout ce que la conscience et l'honneur permettent, ordonnent à chacun de sacrifier pour l'amour de la patrie. […] C'est ce que j'enseigne autour de moi, c'est ce que je souhaite de voir imiter en France par tout notre clergé, et en parlant ainsi, je suis certain de n'être démenti par aucune voix autorisée. »
« Quand la volonté d'un peuple s'est nettement affirmée, que la forme d'un gouvernement n'a rien de contraire, comme le proclamait dernièrement Léon XIII, aux principes qui peuvent faire vivre les nations chrétiennes et civilisées, lorsqu'il faut, pour arracher son pays aux abîmes qui le menacent, l'adhésion sans arrière-pensée à cette forme de gouvernement, le moment vient de sacrifier tout ce que la conscience et l'honneur permettent, ordonnent à chacun de sacrifier pour l'amour de la patrie. […] C'est ce que j'enseigne autour de moi, c'est ce que je souhaite de voir imiter en France par tout notre clergé, et en parlant ainsi, je suis certain de n'être démenti par aucune voix autorisée. »
La bataille pour le social.
Le ralliement permettra l'existence des catholiques sociaux et leur intégration dans les réalités politiques naissantes. Cette situation est donc à la fois favorable au catholicisme social et inconfortable. Favorable, parce que les catholiques, souvent situés dans l'opposition ont beau jeu de dénoncer les insuffisances de la politique sociale du gouvernement et donc de faire des propositions de lois en fonction de leur connaissance excellente des réalités sociales du terrain acquise par les innombrables oeuvre sociales et charitables catholiques.
De l'autre côté, cette situation est inconfortable parce que ces propositions sont souvent repoussées par les socialistes qui veulent garder le monopole du social, clé de toute véritable influence politique et transformation de la société. Les propositions catholiques sont donc en général refusées dans un premier temps, puis reprises par les socialistes à leur propre compte dans un deuxième temps, et votées avec l'appui des voix des catholiques sociaux, lesquels sont plus sensibles au progrès du bien commun qu'à leur amour-propre d'initiateurs véritables de la loi en question.
Enjeu et risque de la collaboration politique.
De même, ceux des catholiques sociaux qui veulent davantage collaborer à la vie politique en participant éventuellement au gouvernement ou en lui apportant leur soutien se trouvent dans une situation favorable dans la mesure où ils peuvent faire avancer leurs idées mais dangereuse dans la mesure où ils peuvent être gagnés par ce qui est inacceptable dans l'idéologie socialiste en plein essor.
L'encyclique " Rerum Novarum" clarifie à cette jonction de deux époques nettement la position de l'Eglise, discernant avec une clairvoyance que le siècle suivant confirmera et condamnant à la fois la vision fausse du socialisme et les méfaits du libéralisme matérialiste. Malheureusement, certains catholiques feront de cette encyclique une lecture réductrice, " de gauche" pour les uns, " de droite" pour les autres. D'autres enfin, " réagiront" et poursuivront, d'une autre manière que dans la période précédente, ce qu'on pourrait appeler le combat conservateur qui prendra déjà le nom d'intégrisme. ( avant la guerre de 1914).
C'est que le combat politique, le combat social et l'évolution de la pensée religieuse sont étroitement mêlés chez les catholiques français et les " crises" se succèdent ( modernisme, " Sillon", intégrisme, action française) sous les pontificats de Pie X, Benoît XV et Pie XI.
Le contexte international.
Parallèlement, à l'extérieur de la France, les idéologies modernes, matérialistes, athées, totalitaires, s'incarnent politiquement ( communisme en 1917, nazisme en 1933), cependant que des régimes autoritaires font pendant à la montée du socialisme international ( Salazar, Mussolin, Franco). Tous ces régimes à leur manière prétendent résoudre la " question ouvrière" et beaucoup de catholiques français seront influencés par leurs projets et leurs méthodes, malgré les nettes analyses et condamnations du communisme, du nazisme et du fascisme par Pie XI.
Une période très riche pour les catholiques sociaux.
Malgré toutes ces difficultés, cette période est très riche pour les catholiques sociaux, qui oeuvreront à travers les mouvements ( Association catholique de la Jeunesse Française, le Sillon, la fédération des Groupes d'Etudes), au sein du " Féminisme chrétien", au moyen d'organes comme les Semaines Sociales, l'Action Populaire, les secrétariats sociaux, l'Oeuvre des Cercles fondée aussi par Albert de Mun, etc...
La position des évêques français.
Quant à l'épiscopat, malgré l'événement important que représente Rerum Novarum en 1891, il va, malgré quelques exceptions notables, rester effacé et timide jusqu'en 1905. On peut dire que la cassure entre l'Eglise et l'Etat, sa brutalité, ont joué un rôle positif et en quelque sorte " libéré" les évêques français. A partir de 1906, la prise de conscience s'accélère et les documents épiscopaux se multiplient. Seul l'evangile donne réponse à la question sociale et l'Eglise peut arbitrer entre les appétits révolutionnaires et les résistances égoïstes. L'enseignement aux fidèles, concernant leur devoir social, est désormais à l'ordre du jour et les catholiques sociaux voient leur persévérance et leur clairvoyance récompensées : Encouragements multiples aux semaines sociales, aux syndicats chrétiens, aux mouvements féminins chrétiens, à l'Action populaire, aux jardins ouvriers, à l'enseignement de la Doctrine Sociale de l'Eglise, et même interventions publiques d'évêques lors de grèves, ressenties comme légitimes. On peut dire qu'à la veille de la seconde guerre mondiale, au moment de l'avènement de Pie XII, l'épiscopat français est dans son ensemble acquis au catholicisme social. Reconnaissons aussi que les prises de positions des évêques sont devenues plus faciles depuis que le Saint Siège s'est engagé fortement et qu'il continue à enseigner les catholiques, notamment en corrigeant les déviances ( Pie X), et en poursuivant l'élaboration de la pensée sociale de l'eglise ( Pie XI particulièrement).
Dans notre exposé suivant, nous reprendrons l'ensemble des avancées sociales et des actions des catholiques en direction des ouvriers et de leurs familles, ce qui donne une petite idée de l'épanouissement et de la créativité sociale catholique à cette époque.
Père Y. Bonnet